〈 Le livre 〉
« J’avais acheté cette maison car elle n’était pas chère, pas chère du tout, et je l’avais achetée malgré l’aspect inquiétant qu’elle aurait pu offrir aux passants, s’il y en avait eu, mais il n’y en avait pas. »
Cheval, ça se passe à la lisière d’une ville. Il y a une maison, qui n’a pas la forme exacte d’une maison. Le jour, on va travailler. Le soir, on écrit des pièces de théâtre d’un genre un peu particulier.
Il y a aussi une grande panne d’électricité, et des déjeuners pris dans la cuisine d’un collègue de travail. Pour aller dans la cuisine, on passe devant un salon dans lequel on n’entre pas. Et on l’appelle quand même salon.
C’est comme le cheval : un beau jour, il arrive par les prés.
Mais ça n’est pas vraiment un cheval. Et on l’appelle quand même cheval.
Comme ce drôle de livre.
_
〈 Extrait 〉
Avant le cheval j’ai eu un ami. Je pense que c’était un ami, même si je l’appelais toujours mon collègue. Collègue comme connaissance, comme collaborateur. Pas plus. Quelque chose aura résisté jusqu’à la fin : une porte qui ne veut pas s’ouvrir. La seule habitude que nous partagions était les repas, plus précisément les déjeuners, pris invariablement dans sa cuisine bardée de placards et de chaises. Toute une famille aurait pu rentrer là-dedans mais nous n’étions que deux. Nous nous étions rencontrés au travail, un jour de grande panne généralisée. Le système informatique et les connexions électriques étaient à l’arrêt dans nos bureaux ainsi que dans l’ensemble de la ville ; ne pouvant plus rien produire, les équipes avaient été invitées à rentrer chez elles dès le milieu de la matinée. Chômage technique. Nous nous étions retrouvés sur le trottoir, les bras ballants. Une vingtaine d’employés, livrés à eux-mêmes et un peu ahuris, dont les regards se croisaient parfois. Certains osaient sourire et il en faisait partie. La panne affectant également tout le réseau ferré, il avait proposé à la cantonade de déposer chez eux ceux que ça intéressait. Il était de bonne humeur, avait l’air avenant. Nous avons été quelques-uns à timidement lever la main. Je ne l’avais jamais croisé auparavant, ou alors j’avais oublié. Plus tard, il me dirait que lui non plus ne se souvenait pas de m’avoir vu dans les couloirs de l’entreprise, qui pourtant était petite : l’étage d’un bâtiment du centre-ville, dans le quartier central, consacré à l’export de matières premières.
_