Mes deux mondes | Sergio Chejfec

SERGIO CHEJFEC
Mes deux mondes
Titre original : Mis dos mundos
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Claude Murcia
144 pages / 16 € / Format : 13 x 20 cm / ISBN 979-10-95434-55-9
Paru le 15 octobre 2024
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〈 Le livre 〉
Mes deux mondes est la chronique d’un promeneur désenchanté, sorte de double fictif de l’auteur, invité en tant qu’écrivain dans une métropole brésilienne anonyme pour un salon du livre et qui profite de son temps libre pour se rendre dans un parc au milieu de la ville.
Le récit s’articule entièrement autour de cette promenade de quelques heures et du spectacle assez ordinaire qu’elle lui offre, ainsi que des nombreuses réflexions et réminiscences qu’elle suscite. Si cette déambulation semble stimuler sa pensée et sa mémoire, le narrateur n’aura pourtant de cesse de dévaluer cette expérience de la promenade. Peu à peu, il va s’apercevoir que ce sont ses propres impressions et pensées, peu flatteuses, qui personnalisent le paysage et ses habitants. Ce qui était au départ une expérience d’hyper-perception, visant avant tout la précision et la nuance, devient un exercice qui oscille entre la peur, la confusion et l’incertitude.
La première édition française de Mes deux mondes a été publiée en 2005 par les éditions Passage du Nord Ouest dans cette même traduction.
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〈 À propos 〉
« Chejfec est une monnaie rare, excentrique, une de ces monnaies qui semblent exister pour contredire la fonction monétaire : prouver qu’il y a des choses, au moins dans l’économie de la littérature, qui ne peuvent être échangées contre aucune autre. Des choses — des livres — qui sont uniques. »
Alan Pauls
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« Je placerais Mes deux mondes parmi les livres qui sont encore capables d’ouvrir de nouvelles voies dans la trajectoire mouvementée de l’histoire du roman moderne. »
Enrique Vila-Matas
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« Mes deux mondes est de ces petits livres rares et étranges qui ont laissé en moi une trace profonde, je ne saurais pas exactement dire comment, et c’est pourquoi j’ai envie de m’y replonger, pour essayer de comprendre le magnétisme subtil de sa prose et vivre à nouveau son angoissante traversée. La promenade est l’opération magique qui fait coïncider enfin les différents mondes qu’habite le narrateur, ceux du dehors et ceux du dedans, grâce à l’alchimie du verbe précis de Chejfec, mais aussitôt que l’on croit percevoir une accalmie, voici que revient la voix inquiète qui doute de tout et qui nous perd à nouveau. »
Neige Sinno
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« En ce qui concerne Sergio Chejfec (Buenos Aires 1956 – New York 2022), la perception de l’excellence de son écriture s’est amplifiée ces derniers temps, comme certains l’avaient déjà prédit. »
Enrique Vila-Matas El Pais suite à l’article de Neige Sinno dans Le Monde
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« Car rien de linéaire dans ce récit, rien de décidé, rien qui puisse s’apparenter à la bonne histoire qui tient en haleine, rien qui puisse ne pas faire lâcher le livre. Et pourtant, comme un somnambule, le lecteur est pris, car même s’il est entré dans un labyrinthe, il est tenu par la main, pas fermement, en une conduite active, mais avec douceur, et j’oserais presque dire une douce mélancolie. Chejfec prend son lecteur par la main et le fait entrer dans la communauté imaginée des lecteurs de son livre, de son texte, de ses mots. Et rares sont les livres qui procurent cet effet, et rares sont les auteurs qui ont cette capacité de guider leur lecteur. » → lire l’intégralité de l’article sur phusisrevue.com
Emmanuel Regniez écrivain
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Guillaume Contré Le Matricule des anges 2024
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« Dans une langue spectrale, toute d’évocation et d’enroulements, de ressemblances et de fugaces liens, Sergio Chejfec transmue la description d’une marche dans un parc, dans une ville au Sud du Brésil, en une très fine exploration des méandres cérébraux, de nos hasardeuses connexions au passé et à l’Histoire, des doubles et fantômes qu’ordinairement nous sommes. Mes deux mondes : un livre, comme on dit, incontournable dans la gravité de sa sensibilité, la mélancolique légèreté de son immense intelligence. » → lire l’intégralité de l’article
La viduité
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« Mes deux mondes ne raconte presque rien : c’est l’histoire du narrateur (on peut supposer qu’il s’agit de Sergio Chejfec lui-même, écrivain argentin décédé en 2022 à l’âge de soixante-six ans, mais outre le  “je” de la narration, rien ne nous l’assure indubitablement) qui, se trouvant dans une ville du sud du Brésil pour assister à une conférence sur la littérature, décide de sortir faire une promenade. À proprement parler, il ne se passe rien dans le livre, et toutefois, il y a des chances qu’il soit aussi vaste que l’univers. » → lire l’intégralité de l’article
Jérôme Orsoni
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« Ils sont bavards, agaçants, lettrés et résolument célibataires. Avares de leurs mots mais pas de leur temps. Amers et ingénus, timides et impertinents. Portés à la digression et à la lisière de l’anachronisme. Oisifs. Raseurs et divertissants. Ils sont casaniers et adorent l’aventure. L’aventure commence au pied du lit ou au coin de la première rue : dès qu’il faut mettre un pied, un mot, devant l’autre. Écrire leur importe peu. Rien d’autre ne leur importe plus. Ils sont les narrateurs de courts récits de Gide, Borges, Gracq, Henri Thomas ou Enrique Vila-Matas. C’est à leur confrérie informulée qu’appartient le héros de Sergio Chejfec. S’ils devaient avoir une devise (ou une épitaphe), ce serait en effet la phrase de celui-ci : « À force d’adopter une attitude d’écrivain, j’avais fini par en être un (…) ».
Le génie particulier du héros de Mes deux mondes se révèle dans sa façon de se promener. Pas n’importe où. Les parcs aux sentiers qui bifurquent sont les lieux où s’exercent son esprit d’escalier et son inventivité.
« Je ne sais s’il faut les appeler lieux d’abandon ; je veux dire quelque chose qui ressemble à des régions délaissées, où le milieu se trouve momentanément suspendu et où l’on peut se croire dans un parc de n’importe où, fût-ce des antipodes. »
Mes deux mondes raconte le souvenir d’une balade, ou plutôt, de plusieurs balades à travers une seule. Le souvenir d’une, dans le parc d’une ville du sud du Brésil, provoque l’onde de déflagration vertigineuse de la mémoire. L’espace d’une ou deux journées s’étire et se ramifie, oscillant entre le passé et le futur, dans l’indécision du moment unique et de la routine. Y convergent des anecdotes, des analogies entre la flânerie attentive et la pratique du surf sur internet, des embryons de réflexion sur les failles spatio-temporelles du quotidien, et une certaine peur, très humaine, de se retrouver seul.
Plus qu’un éloge paradoxal de la marche en milieu urbain (auquel Mes deux mondes prête facétieusement son apparence), le récit de Sergio Chejfec hésite entre un art de se perdre et celui de vouloir tout maîtriser. Le parc au cœur de la ville est à la fois une image réduite de l’Amazonie condamnée à n’être qu’une réserve du Brésil en voie de développement, et un symbole de la petite horlogerie du récit, dont on dirait qu’il ne va nulle part et qui pourtant dessine des motifs très précis. Microcosme, il l’est à la fois comme le système analogique et hiérarchique qui constituait la représentation du monde de la Renaissance, et comme cette forme très (post)moderne qui consiste à enfermer un orgueil ou un rêve démesuré dans les coutures d’un motif. Il ne faut en effet guère se fier à l’allure de Mes deux mondes : court il est dense, truffé de digressions il sait pertinemment où il va. S’il donne l’impression d’une écriture buissonnière, par rapport aux sentiers plus fréquentés du roman, ce n’est que le moindre de ses tours de passe-passe. Le narrateur dit ainsi : « J’aime les parcs ou leur variante funèbre, les cimetières, je les aime bien plus que n’importe quel lieu de nature ouverte ou prétendument sauvage, et d’un autre côté je ne perds pas une occasion de les insulter dans mon for intérieur et de vérifier tout le temps, chaque fois que je les parcours, le maniérisme obligé sur lequel ils reposent. »
C’est par la petite porte de la nouvelle (Nouvelles d’Argentine, ouvrage collectif publié chez Magellan & Cie) que Sergio Chejfec faisait l’année dernière sa réapparition en France ; Cinq, édité par Meet en 1996, est en effet épuisé. La traduction de Mes deux mondes permettra, on l’espère, de découvrir en français l’œuvre de l’auteur argentin : romans, nouvelles, recueils de poèmes…
Loin d’un univers urbain bariolé ou du « versant rural, pampa, scolaire » de la littérature argentine que déplore son héros, Sergio Chejfec offre une remarquable version du récit de promenade. Le mois dernier, Gabriel Josipovici nous en donnait la version british, avec Moo Pak (éditions Quidam ; voir Lmda N°122) : un réactionnaire sympathique, improductif et grand amateur de Swift, s’adonnait aux balades londoniennes et à la conversation monologique.
La version (latino ?) de Sergio Chejfec privilégie les fragiles et parfois bouleversants jeux de dédoublement. Dans leur forme comique : lorsque le héros reçoit un mail qu’il pense en fin de compte s’être adressé à soi-même. Dans leur forme dramatique : lorsqu’il rencontre son double vieilli sur un banc, en un jeu de miroirs avec la troublante nouvelle de Borges, « L’autre » : « les fantômes me sauvent, ils me secouent un peu car par leur présence incertaine ils m’installent dans un autre lieu, je ne sais comment l’appeler, dans une séquence latérale de faits. » Bien plus que par ceux du passé, le narrateur est hanté par les spectres du futur, ces promeneurs qui auront à déchiffrer les infimes traces des anciens. Malgré qu’il en ait, il se révèle ainsi obsédé par ce qu’il pourrait bien avoir à léguer. Et le récit, peut-être, se convertit en déclaration…»
Chloé Brendlé Le Matricule des anges
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