Llop, José Carlos

 
JOSÉ CARLOS LLOP
La Vie différente
Paru le 8 novembre 2016
Le Roman du siècle
Paru le 15 avril 2021
Traduits de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
ESPAGNE
José Carlos Llop est né en 1956 à Palma de Majorque, où il vit et dirige la bibliothèque Lluís Alemany, dont les fonds sont consacrés aux divers patrimoines des îles Baléares.
Il est l’auteur de sept romans, traduits en français par Edmond Raillard et publiés aux éditions Jacqueline Chambon : Parle-moi du troisième homme (2005), Le Messager d’Alger (2006), Le Rapport Stein (2008, Babel Actes Sud 2016), Paris : suite 1940 (2010), La Ville d’ambre (2011), Solstice (2016), pour lequel auteur et traducteur ont reçu le prix Laure Bataillon 2017,  et Rois d’Alexandrie (2018).
Il a publié aussi des recueils d’essais littéraires parmi lesquels Le Consulat français, traduit par Edmond Raillard et édité par Lettres du monde à Bordeaux, à l’occasion de la remise du prix Écureuil de littérature étrangère 2008 ; et aux éditions Jacqueline Chambon, Dans la cité engloutie, traduit par Jean-Marie Saint-Lu, mention spéciale du jury du prix Méditerranée étranger en 2013. Également trois recueils de nouvelles : Passaporte diplomatico, El canto de las ballenas et La novela del siglo, dont un choix, fait par l’auteur, paraît en avril 2021 aux éditions do, sous le titre Le Roman du siècle, dans une traduction de Jean-Marie Saint-Lu.
José Carlos Llop est aussi traducteur, du prix Nobel de Littérature Derek Walcott et du grand écrivain majorquin, Llorenç Villalonga. Il collabore régulièrement à plusieurs journaux espagnols.
José Carlos Llop est connu et reconnu aussi comme un des grands diaristes de sa génération : cinq volumes de ses Journaux sont déjà parus, un sixième est en préparation.
Admirateur du peintre et dessinateur français Pierre Le-Tan, il a été commissaire de l’exposition rétrospective que lui avait consacrée, à Madrid, en 2004, le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia.
Avec La Vie différente, paru en 2016 aux éditions do, traduction de son dixième et plus récent recueil, publié par Editorial Pre-Textos en 2014, les lecteurs français ont découvert sa poésie pour la première fois.
Avec Le Roman du siècle, à paraître en avril 2021, ils découvriront pour la première fois… ses nouvelles.
« J’ai su que ma vie serait différente de celle des autres le jour où j’ai compris que je préférais les souvenirs au présent, la mémoire à la vie, les musées qui capturent la rue à la rue elle-même. Telle a été ma vie ; c’est cela ma vie : vivre pour me souvenir, parce que ce n’est qu’en me souvenant que je me sens réellement vivant. Et ce n’est qu’en me souvenant que je comprends le sens exact de ce que j’ai vécu, comme quand on trouve la pièce manquante d’un grand puzzle. » in La Ville d’ambre, traduit de l’espagnol par Edmond Raillard, éditions Jacqueline Chambon, 2011
Lire L’île est un destin →
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Écrivain grâce à Tintin
Article paru dans L’Obs à l’occasion de la publication du roman Le Rapport Stein.
Le Nouvel Observateur. – Comment la littérature est-elle entrée dans votre vie ?
José Carlos Llop. – Mon père était militaire. Il était général d’état-major. Il n’était pas souvent là. Solitude et lecture, c’était mon enfance. Lui-même me lisait la Bible. C’était un grand lecteur. Et c’est la Bible qui m’a introduit au monde de la fiction. La prise de Jérusalem par les chrétiens, saint Jean de la Croix, tout cela a fertilisé mon imagination quand j’étais gosse. La Bible, et Tintin. Deux fois par an, mon père m’offrait un nouvel album. Mes personnages sont structurés comme ceux de Tintin. Je crois qu’il y a cet humour, dans mes livres, avec le sentiment de la perte, qui est pour moi un des thèmes les plus importants de la littérature.

N. O. – Quand avez-vous commencé à écrire ?
J. C. Llop. – Dès l’enfance. C’est un don, je crois. J’ai vraiment le sentiment, non pas d’avoir décidé de devenir poète, mais que la poésie l’a décidé pour moi. J’ai publié mon premier recueil à 20 ans. Au total, j’en ai écrit neuf.

N. O. – Comment passez-vous d’une écriture à une autre, poésie, roman, journal intime, chronique journalistique ?
J.C. Llop. – Mon Journal m’occupe beaucoup. Cinq volumes sont déjà parus. J’ai observé cependant que j’étais un diariste plus scrupuleux au siècle précédent. Alors que, maintenant que nous sommes passés au XXIe, je prends moins de notes. Ce n’est plus le siècle des journaux intimes !

N. O. – L’enfance du narrateur, dans Le Rapport Stein, c’est la vôtre ?
J. C. Llop. – Certainement. Pendant l’été 1993, j’ai eu l’idée de ce roman. Et j’ai vu la première phrase du livre, comme si elle s’écrivait sous mes yeux. Je n’ai rien écrit cet été-là, mais l’année suivante je me suis souvenu de cette phrase et la suite est venue exactement comme un poème, vers après vers. En douze jours, c’était fini. Je pensais avoir battu tous les records, mais je me suis souvenu que Stendhal avait écrit en un temps plus court encore, proportionnellement, La Chartreuse de Parme, et au même âge. Ca m’a guéri de jouer les prétentieux ! En général, je passe beaucoup de temps à penser à un livre, j’aime qu’il mûrisse en moi, plusieurs années; mais écrire, ça ne prend pas beaucoup de temps. Quelques mois au plus. J’aime écrire dans la tension, l’urgence.

N. O. – Quels sont les grands écrivains qui vous ont marqué ?
J. C. Llop. – Toute la littérature est une grande conversation avec les auteurs du passé. C’est pourquoi il m’est difficile de savoir qui m’a influencé le plus. Proust, sans doute. Un de ces écrivains qui sont votre maison. Jouhandeau, même si je ne m’en sens pas aussi proche. La prose de Paul Morand, dans ses premiers livres surtout, est extraordinaire. Son Journal, en revanche, est irritant. J’aime Bruce Chatwin, Modiano, Pierre Mchon et ses «Vies minuscules». Henry James, T. S. Eliot. Poe, pour le mystère. En Espagne, Vila-Matas, qui est un ami, et Javier Marias. Ses expérimentations narratives sont passionnantes, à l’opposé du réalisme magique des sud-américains. Je pourrais citer aussi Llorenc Villalonga, un auteur de Majorque que j’aime beaucoup.

N. O. – Etes-vous attaché, vivant à Majorque, à cette idée de littérature insulaire ?
J. C. Llop. – Oui. Beaucoup d’écrivains ont séjourné à Majorque, Borges par exemple, mais leur vision n’est pas la même que la nôtre, qui vivons dans l’île. Le rock a beau coup compté aussi, qui a été apporté par les touristes, alors qu’il était interdit par Franco. Quand j’avais 18 ans, j’ai étudié à Barcelone, mais je suis revenu. Je ne suis pas du genre à pouvoir vivre n’importe où, parce que mon seul univers serait la littérature. Comme Vila-Matas, par exemple. Vila-Matas aimerait sûrement se réfugier dans un monde uniquement littéraire, à la manière de Don Quichotte. Mais de même que la vie sans littérature n’est pas la vie, de même la littérature sans la vie n’est pas la littérature.

N. O. – Qu’est-ce qui vous touche chez Modiano ?
J. C. Llop. – Cette atmosphère, qui est semblable à celle de mes romans. Je n’écris pas sur la guerre civile, mais on peut sentir, derrière, que ça s’est produit. Et le sentiment de culpabilité, qui est issu de ces événements tragiques, est le même que l’Occupation a produit chez vous. Mélange de silence, de malaise, l’insoutenable poids du souvenir. C’est une période mythologique que nous avons vécue. Et les enfants que nous étions regardions cette période avec une fascination dont ni Modiano ni moi n’avons jamais pu totalement nous affranchir.

N. O. – Pouvez-vous décrire la pièce où vous écrivez ?
J. C. Llop. – Je travaille au dernier étage de ma maison, sur une table. J’ai des photos, des objets, des livres que je dois lire. J’ai écrit des années à la main. Jamais avec une machine. Mais j’ai maintenant un ordinateur portable. J’écris en silence, parfois avec un peu de musique, Bach, qui m’accompagne tout au long de la journée, le baroque aussi. Je prends des notes dans des cahiers que j’achète dans les villes où je voyage. J ai une grande fenêtre avec une vue sur le château du Belvédère qui domine la ville, et les bois qui l’entourent.

N. O. – Une vie de jésuite, en somme !
J.C. Llop. – Ou d’aventurier. Imaginez-vous que j’ai sauvé la vie d’un de mes confrères écrivains, Rosetta Loy. Je l’ai rencontrée à Cognac, il y a deux ans, pour un festival de littérature. Nous étions dans le même hôtel. Le matin, j’ai senti une odeur de fumée : il y avait un incendie. J’ai appelé la réception mais on n’y parlait qu’en français. J’ai donc réveillé les écrivains. Rosetta est descendue comme une grande dame, très belle, dans sa tenue de nuit. Au fond, elle me doit la vie !