Bordeaux. Nouvelles de 2050

NATHALIE GAUTHEREAU (lauréate)
 FLORIAN COELO, GUILLAUME DELAVENAY, CHRISTELLE DAS NEVES,
GRÉGOIRE ENJALBERT, ODILE HUMBERT-LABEAUMAZ, NOLWENN LE GAL,
MATHIEU PAROISSIEN, LAURE DESOLLE, CHRYSTEL SAVOURAT-SRENG,
JEAN-PIERRE CASSAGNE, MARIE-AGNÈS ENARD, ISAURE NUFFER-CIRÈS
Bordeaux. Nouvelles de 2050 
13 x 20 cm – 168 pages – 14 euros – ISBN : 979-10-95434-15-3
Ouvrage réalisé en partenariat avec Rue89 Bordeaux et avec le soutien de Bordeaux Métropole
Paru le 12 décembre 2018
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〈 Le livre 〉
Bordeaux. Nouvelles de 2050 réunit les treize contributions arrivées en tête du concours de nouvelles organisé à l’initiative de Rue89 Bordeaux, en partenariat avec la mission #BM2050 et avec le soutien de Bordeaux Métropole Énergies.
La nouvelle lauréate, La Chasse, de Nathalie Gauthereau, et les douze suivantes ont été choisies, parmi quatre-vingt-cinq contributions, par un jury présidé par la romancière Delphine de Vigan, entourée de Michèle Laruë-Charlus (responsable de la mission #BM2050), Jacques Mangon (président de Bordeaux Métropole Énergies), Françoise Lavoir (professionnelle du tourisme), Hervé Le Corre (écrivain), Fabien Dutour et toute l’équipe de la bibliothèque du Grand Parc à Bordeaux, Walid Salem (directeur de Rue89 Bordeaux) et Olivier Desmettre (éditions do).
Elles ont été écrites avec cette seule contrainte : se dérouler en 2050 dans la métropole bordelaise, dans les frontières que celle-ci pourrait avoir à cette époque.
Le prix a été remis et le recueil présenté le 11 décembre 2018 à Bordeaux, en présence notamment de Michèle Laruë-Charlus, de Jacques Mangon, de Walid Salem et de Delphine de Vigan. Et de plusieurs des auteures et auteurs qui figurent dans le recueil.
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〈 Extraits 〉
« Ensuite tout est allé très vite. Trop vite, prenant tout le monde au dépourvu. Les années sont passées. Dix années, de mes dix ans à mes vingt ans. Dix ans de panique, de peur, d’échec. L’eau est montée très haut dans les rues de Bordeaux. À certains endroits, elle n’est jamais redescendue. Les immeubles pourrissaient, tombaient en ruine. À chaque averse, les grêlons grossissaient. Ils détruisaient tout sur leur passage. Tout. »
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« Bordeaux étant la ville la plus immédiatement menacée, c’est ici qu’on débuta l’expérience, qui prit le nom d’Opération Noir Déluge. Dans un dernier élan d’humanité, on mobilisa tous les efforts citoyens et technologiques disponibles. Les quelques déserteurs périrent en se hasardant à quitter la cité. La sauvegarde entière de la ville fit l’affaire de plusieurs semaines. »
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« Marguerite s’en fichait de la cage, globalement elle se fichait de tout de manière très méthodique et viscérale à tel point qu’elle avait développé des anticorps qui ont été jugés exceptionnels par le prestigieux institut bordelais d’intelligence artificielle en santé. Elle en a retiré une certaine fierté et une assurance à toute épreuve sur ses capacités à s’autoréguler. Elle nous a prévenues : « Je n’irai jamais dans cette chose » comme elle aimait à l’appeler. »
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« Ils arrivent. Hordes déchaînées, piétinant tout sur leur passage, armées jusqu’aux dents. Ils arrivent. Par le cours de Verdun, le cours Portal, par les quais aussi. De Floirac, sous les eaux, par le pont Simone Veil, de Bègles. Du lac. Bêtes hurlantes assoiffées de sang. Rien ne les arrêtera, ils ont la bénédiction de leur chef. Quand on retire toute forme d’espoir à un être humain, il n’a plus rien à perdre. Voilà où nous en sommes. Il n’y a plus d’espoir. »
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« Au milieu de l’apocalypse, au milieu de mes haillons, au milieu de la poussière, de la grisaille, un panneau se tient. Anachronique. Comme une provocation à ce que nous sommes en train de traverser. En parfait état. Je crois à une hallucination. Je m’approche. La poussière recouvre l’inscription. Je suis tentée de lire, de déchiffrer. Je perds du temps. Et pourtant je veux savoir. Premier repère spatio-temporel depuis longtemps. Depuis que nous sommes partis il y a bientôt vingt nuits. 1. Byzance, Biarritz, Bourg-La Reine, Boulogne ? Beyrouth, Bruxelles, Bratislava ? B-O-R-D-E-A-U-X. Bordeaux. »
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« Ils se dirigèrent ainsi vers « l’antique » monument aux Girondins, voulant profiter de la sensation de fraîcheur à proximité des eaux de la fontaine en cycle fermé qui fonctionnaient à cette heure — où l’évaporation n’était plus aussi grande —, puis obliquèrent en direction du jardin. Sous l’œil vigilant des drones et caméras de surveillance, ils empruntèrent les allées déjà bien occupées par les badauds qui voulaient profiter de la fraîcheur des arbres. L’été serait encore caniculaire. »
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« Oh, je ne t’ai pas dit, mais hier, la Cité du vin s’est effondrée. Quel spectacle ! Je la regardais, le long des quais, s’affaisser lentement sur elle-même, dans des gémissements et craquements incessants. On aurait dit une personne âgée tombant lentement sur le flanc dans un dernier soupir. C’était tellement irréel… Je la revois il y a trente ans, étincelante… »
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« Le reste du temps, je continue mes promenades quotidiennes, dans les vieilles rues de Bordeaux. Je marche beaucoup, car les transports en commun d’autrefois sont tombés en désuétude. Ma petite retraite ne me permet pas d’utiliser les capsules individuelles plusieurs fois par jour : je ne les prends qu’exceptionnellement, quand je suis trop fatiguée. Lorsque je raconte à mes petits-enfants le mode de vie que j’avais dans mes jeunes années, ils prennent un air dégoûté. »
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« La débauche qui avait régné dans la ville pendant la Guerre Totale était encore  palpable : barricades, tags, immeubles en partie démolis. De grands vents s’engouffraient dans les rues vides et des sacs plastiques volaient avec peine, agonisaient encore. Surtout, ce qui l’impressionna, ce fut la végétation qui avait presque tout recouvert. Son cœur de botaniste s’en réjouit. Le pont d’Aquitaine était devenu un immense mur végétal, où des lianes et des orchidées s’agrippaient. »
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« Dans son allocution, le maire n’oublia pas d’insister sur la stratégie concertée (très important pour faire vivre la démocratie) des « Portes du Médoc », confirmant « le désenclavement de la péninsule du Médoc conjugué à la judicieuse mise en service de l’autoroute Bordeaux-La pointe de Grave ». Soudain Arsène, le bracelet que ses petits-enfants avaient offert à Achille, vibra discrètement à plusieurs reprises. Arsène était son compagnon de vie et l’escortait à son bras gauche depuis plusieurs années, sans faillir un seul instant. Arsène savait tout faire : communiquer, contrôler, sécuriser ou distraire son protégé, de jour comme de nuit. »
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« Les cloches numériques de la cathédrale Saint-André sonnent à plein volume et répandent l’immense bonheur de Brune, le publient dans tout Pey-Berland et même jusqu’à la Garonne. Comme elle a rêvé ce moment qui semblait complètement chimérique ! Elle, ici, en blanc. Bon d’accord, une robe de créateur, déstructurée, tissu intelligent, modèle unique, mais une robe de mariée tout de même. »
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« En quittant le cabinet, je choisis de rentrer à pied et d’aller me promener sur les bords de la Garonne. Grâce à ma découverte, les basses températures étaient devenues supportables et même souvent agréables. J’empruntai le cours Victor-Hugo puis tournai à droite en direction du quartier Saint-Michel. Malgré les déneigeuses, la place Meynard était encore blanche et verglacée. Je longeai la basilique et arrivai en vue du fleuve. Mon regard se porta alors sur un attroupement au niveau de la ligne d’aérotram»
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« Pierre partit de Pessac en train, admirant le soleil couchant derrière les édifices, et arriva jusqu’à la gare Saint-Jean toute en verre et surélevée. Les anciennes voies ferrées avaient disparu, remplacées par des câbles aériens, qui sortaient de partout et permettaient à des trains aériens de partir dans toutes les directions, au-dessus et en-dehors de la ville. »
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