Avant Rotterdam | Franck Dorso

FRANCK DORSO
Avant Rotterdam
192 pages / 18 € / Format 13 x 20 cm / ISBN 979-10-95434-38-2
Paru le 10 février 2022
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〈 Le livre 〉
Mathilde, Solène, Henri, Tomas apparaissent puis disparaissent à travers l’Europe, voient la chute d’un club mythique et d’une holding séculaire, fuient dans les Alpes ou se mettent au service d’un explorateur brutal qui a su anticiper le désastre écologique.
Dans ce roman à quatre voix, celles de frères et sœurs séparés par la vie, chaque récit, situé dans un futur proche, est traversé par un certain nombre d’indices permettant de reconstruire ce qui ressemble à un projet familial.
Tour à tour roman policier, d’espionnage et d’anticipation, Avant Rotterdam résiste aux catégories. Si sa construction possède la part de tension et d’invention propre à ces genres, si son écriture, précise et nerveuse, n’a rien à leur envier, ce qui se dessine dans cet univers singulier interroge surtout l’évolution des relations humaines.
« Ce retour au rapport de force primaire », est-il écrit quelque part dans le livre.
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〈 Extrait
« Après les émeutes de 2024 nous avons décidé d’ouvrir une boîte de nuit avec mon cousin Boris. Ce genre d’établissement avait été en perte de vitesse, pendant une vingtaine d’années, mais les circonstances rendaient l’expérience à nouveau profitable. 
  Nous avions géré plusieurs boîtes, avant le déclin, et nous n’étions pas restés inactifs par la suite. On nous appelait toujours les frères dans le milieu, ce que nous n’étions pas. À la chute du mythique Casinho du clan Paola nous avions dû comme tant d’autres prendre le large et, après un passage au maquis, nous étions partis nous former à l’événementiel. On investissait les dernières friches industrielles des métropoles européennes en les faisant passer pour des lieux underground. On fabriquait du décor, on posait des tireuses. Il y eut même quelques restaurants à décor blanc dans de grands malls commerciaux. Ces affaires-là étaient profitables, mais d’un ennui mortel. Pour finir nous avons monté deux ou trois cafés autogérés. Cela ne nous rapporta pas grand-chose mais quelle importance, nous hibernions. Et puis nous n’avons jamais autant ri que devant la figure défaite du hipster qui comprend qu’il a été roulé. Bref, on passait le temps.
Mais notre temps arrivait, et Boris, ce roi suprême des enfants de salauds, comme il prétendait qu’on l’avait surnommé en d’autres lieux, prit la décision la plus importante de sa carrière en trouvant le nom et le principe de l’affaire que nous projetions de monter — le CSSV. »
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〈 À propos 〉
« Avant Rotterdam commence en 2025 et s’achève à Rotterdam en 2037, les textes emboités qui composent ce roman racontent en creux l’histoire d’une fratrie : deux frères et deux sœurs aux liens dénoués qui vont côtoyer des entrepreneurs, des mafieux et des héritiers de fortunes anciennes dans une Europe où la liberté du marché a définitivement renversé la politique. Mathilde, Solène, Henri et Tomas vont regarder les fortunés s’affronter, s’infiltrer, s’entretuer, dévaster leurs empires, perdre leurs holdings, finir par être absorbés lors d’OPA violente.
C’est l’une des forces de ce roman fragmentaire : raconter l’économie et l’entreprise comme on écrirait un documentaire animalier, l’antilope court mais le lion la bouffera. L’autre grande force de ce livre, c’est sa langue, assurément, un rien désuète, un poil empathique, traversée pourtant de fulgurantes oralités (« Je vais concasser la connasse de gueule de tous ces connards ! »), une langue qui est une arme employée par l’aristocratie dominante pour écraser ses serviteurs (à moins, justement, que les serviteurs ne se mettent à utiliser le même langage).
Avant Rotterdam est aussi un roman d’anticipation, où les corps sont pucés, où le numérique s’est effondré, où l’écologie est devenue un moyen d’assurer une domination financière, une spéculation comme une autre.
Avant Rotterdam, au final, est un roman à trous, une sorte d’énigme passionnante qui n’en finit plus de générer des images parfois contradictoires, mais toujours fascinantes. »
Éric Pessan écrivain
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Souvenirs d’une lecture en musique Chez Betty
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« Les protagonistes traversent l’histoire en laissant planer une aura mystérieuse. A la fois polar et roman d’anticipation, le livre bouscule par sa construction, son écriture nerveuse, laissant le lecteur se poser ses propres questions, sans forcément y répondre. »
Elle à table
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Librairie HAB Galerie – Le Voyage à Nantes Nantes (eh non, pas Rotterdam)
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« Ethnographie d’un avenir où les rapports de force, la domination, rappellent à la nécessité de la fuite, à la perpétuation du salut différé de l’écriture. Quatuor fraternel – deux sœurs et deux frères qui se sont perdus de vue – qui cherchent à disséquer les motifs de nos fascinations, la persistance de nos fuites, les structures de contre-dons, de tromperie qui déterminent nos interactions. Dans cette suite de récits tendus, destins emmêlés, Franck Dorso met à nu une société qui fait retour au rapport de force primaire. Après Rotterdam met alors en scène la ténuité de la survivance d’échappatoires.
Comme souvent chez les très intéressantes Éditions Do, Avant Rotterdam apparaît avant tout dans l’évidence de son style. L’embarras critique commence d’ailleurs ici : comment qualifier un style autrement que dans le flottement, écart et distanciation, à son propos, dans le degré de précision des détails qui distinguent son récit, se chargent de l’incarner ou dans la manière dont l’auteur les estompe pour donner à voir l’essence et les gestes du spectacle dont il offre la contemplation ? Une tenace, car discrète, singularité en tout cas chez Franck Dorso. Pour déjà loucher sur le sens de ce roman, on pourrait en approcher le style en qualifiant la façon dont il joue sur son dépouillement un rien suranné comme d’une projection dans un futur un rien régressif, un avenir où la technologie serait abandonnée au profit de gestes plus simples comme l’écrit sur papier, la fouille manuelle, l’éternité du chantage et du meurtre. Le style apparaîtrait-il alors surtout dans ces omissions, dans ce qu’il ne veut préciser, ce qu’il estompe pour mieux suggérer une évidence autre. Je ne sais si je me fais comprendre.
On lit dans Avant Rotterdam une manière d’effacement, une sorte d’oblitération de la réalité, une description juste évocatrice comme égarée à hauteur de l’aveuglement des personnages, comme tendue vers le sens, la structure, que veut nous faire entendre l’auteur. Quelque chose de réfléchie qui parvient à gommer les détails, à se contenter de la tension vers l’essentiel, les réflexions qu’il impose comme chez Javier Marias ou dans cette sorte de nihilisme apocalyptique si bien touchée du doigt par Miguel de Palol. On serait tenté de dire un truc pas français après ces deux rapprochements. Disons-le alors autrement : une forme de précision qui sait ne pas se perdre dans les détails, une évocation des puissants qui ne veut se perdre dans la contrefaçon de leurs discours, de leur vocabulaire. Magouilles et arnaques dites pour ce qu’elles sont : pur désir de domination.
Après cette image peu satisfaisante du style de Dorso tentons de dire un peu moins mal l’attrait de son récit pluriel. On peut aussi comprendre Avant Rotterdam comme une suite de nouvelles, de récits tendus dans leur fatalité entendue en écho avec le temps qui passe et nous projette dans un avenir de plus en plus incertain, échappant aussi à toutes formes de nouveauté, revenant aux passions primales de l’homme. Le récit commence en 2025 et se referme, pour ainsi dire – en 2037. Un proche avenir qui, comme dans P.R.O.T.O.C.O.L ne peut se dire que dans le rapprochement des points de vue des différents personnages.
Avant Rotterdam est hanté (bien sûr, qui ne le serait) par une vision inquiète de l’avenir, par sa survie entre clandestinité et écarts, subsistance de plus en plus difficile (et donc violente dans sa domination) de cette croyance dans l’immuable. Franck Dorso évoque rapidement, souvent au détour d’une phrase, les révoltes, les acceptations surtout, de cet avenir craignos. Jeu alors assez admirable sur un désir régressif, un retour à la sécurité. Un des récits les plus réussis (il a parfois des accents quasi blanchotiens) est celui d’Henri. Pour échapper à la surveillance, pour continuer à croire (pas tout à fait à tort ?) que leur domination sera éternelle, les puissants du monde persévèrent à écrire à la plume, à se distinguer par l’achat de coûteux stylos plume. Henri est chargé des les maintenir en l’état, d’écrire pour qu’ils puissent toujours être prêts à l’usage. Il invente alors des portraits, d’abord de ses clients puis de ses patrons. Il s’aventure dans une quête, dans l’exploration de cette maison dont, à l’évidence, il causera la chute. Si dire le maître serait s’en émanciper, Franck Dorso s’amuse à souligner à quel point cette parole peut facilement être dévoyée, utilisée contre son auteur.
Avant Rotterdam se constitue donc de courts textes, tous sont tendus dans l’invention d’une manière de s’évader. Motif alors à des chutes bien menés, à des récits rythmés auxquels il est aisé de se laisser prendre. Nos actions échappent guère aux luttes de pouvoir. Mathilde la première sœur incarne, ou plutôt fait signe vers, cette dépense que devrait être la débauche, la quête de l’ivresse noctambule. Elle séduit deux tenanciers, deux faux-frères, de boîte de nuit débridée. Franck Dorso parvient à les écrire dans leurs quêtes du plaisir, dans sa vénalité et son escalade vers la nouveauté. Nous sommes toujours les dupes de nous-mêmes. Ainsi, Solène, la seconde sœur, croira un instant se sauver dans son dégoût de l’image, ce désir de sauver l’instant sans rien en penser. On pourrait y voir une discrète critique de notre époque : user des mêmes armes que celles du pouvoir revient à en reproduire le modèle, à ne pas tarder à en devenir victime.
Nous avons tenté de le dire, un des charmes d’Avant Rotterdam est de dire l’avenir dans son illusion que rien ne change. Le récit de Tomas offre à ce titre une atmosphère exemplaire. Les courtisans se ressemblent, le pharaon ancien pirate sait en reproduire le ballet, évitement et un rien d’intérêt. Joli réflexion sur l’ennui qui ne tardera pas à naître du sport marchandisé. Le lecteur se laisse prendre à la fascination pour le complot, à son plaisir de le voir déjouer, à la joie mauvaise de voir un salaud s’en sortir. Même si, bien sûr, il se fera doubler, un peu. C’est peut-être d’ailleurs cette réflexion que cherche à indiquer, à rendre possible sans jamais la forcer, Franck Dorso : tous récits reproduits une forme antique de domination. Peut-être aime-t-on, au fond, que les choses à la fin semblent à leur place, qu’il subsiste malgré tout un maigre espace de fuite. »
La viduité
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