Un corps en trop | Marie-Victoire Rouillier

MARIE-VICTOIRE ROUILLIER
Un corps en trop
 104 pages / 15  € / Format : 13 x 20 cm / ISBN 979-10-95434-44-3
Première édition : éditions Alinea
Paru le 23 février 2023
_
〈 Le livre 〉
« Vous entrez en carême pour quarante jours, dans votre couvent glacial, sans recevoir de visites ni de lettres et, tandis que vous vous installez dans l’intimité confortable d’un Dieu construit à votre mesure, moi je reste au désert. »
Du Mercredi des cendres à Pâques, la narratrice adresse quarante lettres à sa tante, retirée sous le voile, sœur jumelle de sa mère, morte en lui donnant naissance. Quarante suppliques d’amour et de haine écrites à une tante incapable d’aimer une nièce trahie, qu’aucune belle phrase sortie du discours religieux n’apaisera. Quarante cris de l’enfant qui veut se séparer et vivre enfin.
Quarante missives qui ne reçoivent, ni d’ailleurs ne sollicitent, aucune réponse. Une seule viendra pourtant…
Dans une langue dépouillée et sans masque, née d’une nécessité intime et profonde, Marie-Victoire Rouillier offre une œuvre à l’écart du temps, dans la grande tradition des écrits brefs et intenses de la littérature amoureuse.
Un corps en trop a été traduit en anglais par Alan José sous le titre My Original Sin et publié en 1994 par Black Spring Press Ldt.
Le texte a aussi fait l’objet de deux adaptations théâtrales, mises en scène par Philippe Berling : en 1989, pour le festival d’Avignon, sous le titre Parlez-moi de vous, avec Denise Gence et Marie-Paul André, et en 1998, sous son titre original, pour l’hôtel Atria de Belfort, avec Anne Pottecher.
_
〈 Premières pages 〉
Mercredi 20 février
Vous entrez en carême pour quarante jours, dans votre couvent glacial, sans recevoir de visites ni de lettres et, tandis que vous vous installez dans l’intimité confortable d’un Dieu construit à votre mesure, moi je reste au désert. Et là, je n’entends plus que votre silence, le même depuis quarante ans. Un silence fait de mots convenus, d’affection bienséante, sans chair et sans chaleur. Vous vous êtes livrée corps et âme à une « cause supérieure », et moi je suis toujours restée au bord du vide, entre votre Dieu d’amour et mes démons de haine et de peur.
Je vous ai idéalisée pendant des années, puis j’ai attendu de vous un geste qui n’est jamais venu. Enfin j’ai décidé de vous regarder en face, telle que vous êtes. Mais vous n’apparaissez même plus au fond de ces images dans lesquelles j’ai tenté de vous contenir. Je ne vois plus que moi-même, encombrée de toutes mes carapaces douloureuses, de tous mes désespoirs. Ne pourrai-je donc jamais haïr sans me blesser ? Comme Emmanuelle, je voudrais échapper à votre amour, mais comme elle, je ne peux que hurler.
_
〈 À propos 〉
_
« Court récit à une seule voix, Un corps en trop, de Marie-Victoire Rouillier, est une œuvre singulière, à l’écart du temps, de ses soucis ou engouements ; une œuvre qui se rattache à la tradition des écrits brefs et intenses de la littérature amoureuse. À lire les lettres dont le livre se compose, et sans qu’il soit besoin de connaître les circonstances biographiques dans lesquelles il a été conçu, on comprend que c’est une nécessité intime et profonde qui l’a fait naître.
Le schéma est aussi simple et sans ornements que la forme. Du Mercredi des cendres à Pâques, la narratrice adresse quarante missives à sa tante, religieuse dans un couvent, sœur jumelle de sa mère, morte en lui donnant naissance. Brûlantes de passion et de haine mêlées, ces lettres, qui ne reçoivent, ni d’ailleurs ne sollicitent, aucune réponse, dressent le bilan d’un échec, d’une fracture irréparable.
L’amour s’amplifie et le désir s’exaspère de ne rencontrer, à la place de leur objet, qu’un visage lisse, installé dans la distance, à jamais détourné de cet amour. La voix unique, monocorde, du récit de Marie-Victoire Rouillier résonne dans un espace vide, clos sur lui-même, comme la folie. Elle est, dans son principe même, inaudible, et se sait telle. Toutes ses inflexions sont faites de ce savoir, de cette douleur : appel à la fusion, au retour dans un sein maternel substitutif, confusion des sentiments où le corps ne peut trouver de place qu’absent… « Comment pouvez-vous être comblée par votre Dieu, alors que sans vous je suis vide ? Comment pouvez-vous transcender en amour pour l’humanité la haine que j’ai pour vous ? » Telle est l’impossible alternative que pose, ou plutôt sous laquelle ploie et s’épuise, la narratrice. C’est « une voie de l’abandon » qui s’inscrit comme destin dans son existence ulcérée, son « cœur boiteux » ; c’est une logique de mort plus que d’amour qui s’installe et conduit le jeu.
À poser une grille psychanalytique sur ce récit fervent, écrit d’une plume parfaitement maîtrisée, classique presque, on pourrait lire derrière les barreaux l’histoire d’une pulsion mortifère, d’un lien primitif où la dévoration tient lieu de rapport amoureux. Mais le récit de cette « enfance interminable » échappe fort heureusement à cette grille qu’il n’avait pas le souci de remplir. Il gagne même à s’en libérer totalement.
Marie-Victoire Rouillier s’est suicidée avant la publication de ce premier roman. C’est là une tout autre histoire que celle du livre. Il faut, par respect, laisser à l’existence son intégrité et à l’œuvre son authenticité propre et sa liberté. »
Le Monde 4 mars 1988
_
« Quarante lettres absolues d’amour et de haine, écrites à une tante qui a lâché cette enfance, désertée par une mère morte à votre naissance, pour se consacrer à Dieu. Quarante révoltes pour les quarante jours du carême de cette religieuse en mal d’amour divin, incapable d’aimer une nièce trahie, en proie à la vérité nue de sa blessure mortelle, qu’aucune belle phrase sortie du discours religieux n’apaisera. Quarante cris de l’enfant qui veut se séparer et vivre enfin, mais ne le peut, sans un geste d’amour de celle dont hélas elle ne peut pas ne pas attendre tout : on suit ici de très près les effets funestes d’une demande d’amour qui n’a jamais pu être renoncée. Langue impérieuse, dépouillée, sans masque, à la limite du soutenable. Marie-Victoire Rouillier s’est tuée après avoir écrit ce texte. »
M.-C. B. Les Cahiers du Grif 1988
_
« Un corps en trop est une œuvre unique qui a tout d’un classique contemporain. Une œuvre d’une force souterraine et insidieuse. Une forme qui semblerait inaccessible : celle du récit épistolaire… à sens unique. Les lettres d’une fille à sa tante, sa mère de substitution après que celle-ci soit morte en lui donnant naissance. 40 lettres pour les 40 jours du carême durant lequel cette tante se réfugie dans un couvent, sans contacts avec l’extérieur.
Un corps en trop nous met en présence d’une plume d’une puissance implacable qui avance lentement, telle une coulée de lave, « un grand charroi de glaise molle, emportant jusqu’à [son destinataire] le feu qui [la] dévore ». De l’amour à la haine, du ressentiment à l’admiration, la rédactrice de ces lettres déclare sa flamme, maudit, s’ouvre, se met à nue. Mes ces lettres nous parlent aussi de l’amour, de l’amitié intense entre deux jeunes femmes, de moments volés au destin, d’instants arrachés à la fatalité, à la spirale que l’on pensait fermée, au chemin tout tracé dans lequel nos traumatismes semblent nous avoir guidé.
Se moquant de la religion et de l’amour recherché auprès d’un Dieu absent, c’est bien l’amour authentique, maternel, qui est invoqué ici. L’amour qui devrait se ressentir au quotidien, en dessous des masques. Un amour chaleureux que la narratrice ne trouva pas, remplacé par une apparence glaciale et une affection pieuse, bienveillante, qui met en cage, intimide et refroidit les cœurs sur son passage.
Un corps en trop est un tour de force, un texte tragique à sa façon, qui n’est cependant pas dénué d’une beauté irradiante, quelque chose qui nous prend à la gorge et qui nous fait marcher dans les pas de son autrice. On pense à Que les étoiles contemplent mes larmes de Mary Shelley, en beaucoup plus lumineux, comme une lumière blafarde qui émane du plus profond de l’âme.
« Ce n’est pas la résurrection éternelle dont j’ai besoin ; je veux seulement m’abandonner au cycle des jours et des saisons, et sentir, près de vous, la chaleur revenir après le froid, comme la lumière renaît de l’obscurité. » »
Librairie Fracas Lorient
_
« Lecture coup de cœur parce que l’émotion, la tradition de l’amour pur épistolaire, même familial, les lettres ouvrent l’essence, l’âme mise à nu à travers quarante lettres, missives, une mise en retrait, au couvent, en entrée en carême, un affrontement de soi, une langue dépouillée, sans masque, absolue car absolument livrée, par nécessité intime et vitale, à l’écart du temps. »
flaneusedepages
_
« Les éditions do mettent en lumière un texte pétri d’une souffrance bouleversante de sincérité qui, publié une première fois en 1988, soit peu après le décès de son autrice, semble s’inscrire à l’écart du temps. Ce récit épistolaire à sens unique, heurté au silence d’une tante recluse dans un couvent, se lit comme une puissante déclaration tissée d’amour et de haine, de reconnaissance et de ressentiment : « Comment pouvez-vous être comblée par votre Dieu alors que sans vous je suis vide ? » »
Bibliothécaires de la fondation Jan Michalski
_