« C’est quelque chose que j’ai aimé d’emblée chez Sophie lorsque je l’ai rencontrée. Dès le premier soir, je l’ai ressenti comme ça : elle flottait par-dessus la mêlée. Par procuration ou par ricochet, très vite dès que l’ai fréquentée, elle m’a donné l’impression à moi aussi de me rehausser. Je lui ai emprunté beaucoup, pour tout dire, au fil des mois. Je me suis servi à pleine mains dans son répertoire de finesse et de bon goût, je me suis mis à utiliser les termes postmoderne et altérité, j’ai même été capable de restituer correctement ses notions de philosophie du Japon. Au fond, même si ça me faisait me sentir un escroc, vivre avec Sophie m’élevait vraiment. Mais il arrivait aussi que je m’offense de la hauteur ou de l’avance qu’elle continuait de prendre sur moi. Parfois, quand je commettais une faute de syntaxe, un impair ou une simple erreur, Sophie la soulignait avec un air railleur. Au début, ça tenait surtout du jeu, c’était sa manière de gonfler les plumes devant moi, je crois, et dans les faits, moi aussi j’en avais pris le parti en lui renvoyant une réplique bien sentie ici et là. Mais avec le temps et la répétition, le jeu avait pris un goût amer. Bientôt, quand elle me corrigeait, j’avais l’impression d’essuyer une gifle dont la malice coupait court à toute protestation et par avance la ridiculisait. »