À l’ombre de la mort | Rūdolfs Blaumanis

RŪDOLFS BLAUMANIS
À l’ombre de la mort
(Titre original : Nāvēs enā)
Traduction du letton et postface par Nicolas Auzanneau
Illustrations à l’encre : Olivier Desmettre
104 pages / 13,50 € / Format : 13 x 20 cm / ISBN 979-10-95434-53-5
Paru le 23 mai 2024
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〈 Le livre 〉
À la fin de l’hiver, sur la mer Baltique encore en partie gelée, un banc de glace se détache et part à la dérive au large de la Courlande. Un groupe de pêcheurs lettons, leurs deux chevaux et leurs traîneaux se trouvent pris au piège, sans moyen de rejoindre la côte. Dans ces conditions extrêmes, les journées sont interminables, hantées par le froid, le manque de nourriture et d’eau douce. Avec le terrible compte à rebours de la glace qui fond. Partis quatorze, ils ne seront bientôt plus que treize, puis dix, puis enfin, combien ? Dans ce huis clos fatal, les hiérarchies sont bousculées, les tempéraments se révèlent, les bassesses éclatent au grand jour. Quel prix est-on prêt à payer pour sauver sa peau alors que chaque geste, chaque décision nous laisse seuls face à la responsabilité de nos actes ?
Inspiré d’un fait divers, Blaumanis pose dans ce texte bref écrit en 1899 des questions humaines universelles essentielles. À l’ombre de la mort, traduit pour la première fois en français, est un des chefs-d’œuvre de la littérature lettone.
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〈 Extrait 〉
Sans répit, le suroît soufflait et soufflait ; sans répit, l’im­mense banc de glace poursuivait sa course toujours plus loin vers le large — il y avait dessus quatorze pêcheurs et deux chevaux. Tout occupés qu’ils étaient à forer des trous et à y plonger leurs filets, parmi eux pas un ne s’était rendu compte que l’aire de pêche s’était détachée du rivage. Et lorsqu’ils avaient réalisé le malheur qui les frappait, leur sauvetage était déjà impossible. Quelques instants auparavant, un des chevaux avait filé au trot en direction de la terre ferme, et Kārlēns, l’apprenti de seize ans qui montait le second, était parti à ses trousses ; il avait eu tôt fait de rattraper la bête, et de là, avait vu que, sans nul doute, la plaque sur laquelle ils se trouvaient piégés dérivait. Hors d’haleine, il avait accouru auprès des hommes pour les avertir, mais lorsqu’ils se précipitèrent pour constater par eux-mêmes ce qui se passait, tout espoir de rejoindre la côte à la nage s’était évanoui.
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« Heureux d’avoir découvert ce texte. Blaumanis a une manière tout à fait singulière de convoquer seuils et hiérarchies, et de son travail sur l’ellipse naissent des images intenses, une étrange sensualité prise entre le froid et la nuit. »
Paul Librairie Le Silence de la mer Vannes
« Ce serait une illusion d’optique que de considérer les pays baltes comme une périphérie culturelle de l’Europe. Malgré leur histoire tragique, ces pays ont connu des périodes de grâce, formant des creusets où se sont mélangés les traditions autochtones et les courants germaniques ou slaves venant de leurs voisins. Cela a donné parfois des fruits remarquables. Ce fut notamment le cas de la Lettonie vers la fin du XIXe siècle et durant les premières décennies du XXe. Sa capitale, Riga, connut alors une effervescence littéraire et artistique sans précédent : Rūdolfs Blaumanis (1863-1908) en est une figure emblématique. Journaliste, nouvel­liste, auteur de théâtre, il manie aussi bien l’allemand que le letton et excelle dans le genre de la nouvelle.
À l’ombre de la mort (1898), l’histoire d’un groupe de pêcheurs qui se retrouvent sur un banc de glace à la dérive, en offre une belle illustration. Peut-on survivre dans de telles circonstances ? Et si oui, à quel prix ? Un huis clos où les personnalités s’entrechoquent, tels les morceaux de glace qui flottent autour d’elles. A mesure que la situation s’aggrave, les caractères se dévoilent, des liens se rompent, d’autres se créent… En 1971, la nouvelle, qui fait partie du programme scolaire letton, inspire un film. Cette popularité s’explique par la finesse psychologique d’un récit servi par une maîtrise stylistique sans faille. »
Elena Balzamo Le Monde des livres
« La misère et la mort, un sombre réalisme, social et elliptique, dans ce bref récit d’une dramatique, universelle, dérive vers la fin. Dans la dramatique exacerbation, toutes les tensions, les secours aussi, qui entre les hommes subsistent soudain se révèlent, montrent la fragilité de nos héroïsmes face à cette insurpassable adversité que de dériver sur un morceau de glacier, d’errer, de nuit, dans son inexorable fonte. Immense classique de la littérature lettone, publié pour la première fois en 1899, À l’ombre de la mort offre une frappante, par le réalisme de sa discrète inscription sociale, vision de notre condition humaine. D’une grande sécheresse évocatrice, la prose de Rūdolfs Blaumanis séduit par son grand pouvoir de suggestion, dans la portée concrète et métaphysique qu’elle donne à ce drame.
On retrouve ici un texte, c’est rare, letton et dont la brièveté, c’est tout aussi rare, frappe. Nous ne voudrions pas ici nous répéter, faire surtout nettement moins bien que la très belle postface dans laquelle Nicolas Auzanneau présente À l’ombre de la mort et Rūdolfs Blaumanis. Nous invitons vraiment le lecteur curieux à s’y reporter, comme avec profit il découvrira les illustrations à l’encre d’Olivier Desmettre, l’éditeur. Nous sommes donc face à un texte que par paresse il faut dire curieux, quasiment allégorique et pourtant en tout instant concret, presque minimaliste et pourtant d’une très belle pertinence psychologique. On entend à tout instant un décalage, je perçois surtout ma très grande méconnaissance des littératures lettones. À l’ombre de la mort serait donc une courte nouvelle écrite à partir d’un fait divers particulièrement horrible : un groupe de pêcheurs auraient dérivé sur un morceau de banquise qui soudain les aurait séparés du monde. La situation est d’une telle horreur, d’une telle banalité, que jamais l’auteur n’a à insister. Depuis au moins Pascal on sait que notre condition humaine jamais mieux ne nous serait révélée qu’en voyant tout autour de nous les gens mourir. Tout l’intérêt de ce livre sera justement, dans sa terrible économie de moyen, de ne jamais insister sur la fatalité. Il me semble plutôt que Rūdolfs Blaumanis retranscrit ce que l’on pourrait prendre, dans l’écart de notre confort, pour une sorte de fatalisme paysan.
Dans l’évidence de ce conte métaphysique, l’auteur toujours traquera le concret, la simple vérité des sentiments. La survie, malgré tout, s’organise. Chaque personnage montrera ses aspérités, ses grandeurs qui si souvent tiennent à un geste : partager un peu d’alcool, se sacrifier. On pourra, assez utilement, tirer des significations qui outrepassent À l’ombre de la mort, s’interroger sur notre comportement, le courage dont qui sait nous aurions fait preuve. Tout ceci se trouve comme volontairement passé sous silence, laissé dans les nombreux blancs du récit, le silence qui entoure les gestes précis, comme renseignés, et les rares paroles. Des sortes d’amitiés quand mêmes naissent, un jeune homme implore un peu de protection, voudrait avoir ne serait-ce qu’une idée de tout ce qu’il va manquer, des contacts à la sexualité et à l’amour. N’en disons pas trop, laissons le lecteur découvrir cette pudeur, l’exactitude des sentiments quand ils sont seulement suggérés. La tension vers la brièveté sera d’une effarante force pour ce dénouement qui laisse l’horreur en suspens. On entendra dans À l’ombre de la mort chaque espoir, chaque désespoir, la fin et le poisson à moitié cru, la beauté de tout ce qui se met en place pour résister à la fatalité. Un texte d’une grande puissance. »
La viduité
Le Matricule des anges juillet 2024
Librairie Compagnie Paris

Dans la sélection estivale de la Librairie Tropismes Bruxelles

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