Malacqua | Nicola Pugliese

NICOLA PUGLIESE
MALACQUA
Quatre jours de Pluie dans la ville de Naples dans l’attente que se produise un Événement extraordinaire.
Titre original : Malacqua. Quattro giorni di Pioggia nella città di Napoli in attesa che si verifichi un Accadimento straordinario
Traduit de l’italien par Lise Chapuis
192 pages / 19 € / Format 13 x 20 cm / ISBN 979-10-95434-12-2
La traduction de ce livre a bénéficié du soutien du Centre national du livre
Paru le 8 novembre 2018

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〈 Le livre 〉
Le livre fut écrit en 1976, en 45 jours, et grâce à son frère Armando, metteur en scène qui travaillait à Rome sur une adaptation du Baron perché de Calvino, il atterrit dans les mains de l’écrivain, qui lui dirigeait une collection aux éditions Einaudi, une des plus importantes de l’époque.
Pugliese est ensuite allé le voir à Turin, il se souvient d’un homme triste, fermé, qui ne parlait pas beaucoup. Calvino lui a proposé quelques corrections, qu’il a acceptées, mais quand d’autres plus tard sont arrivées, il lui a répondu : « Caro Calvino, il libro è questo: se lo vogliamo pubblicare lo pubblichiamo; se no, non fa niente. Grazie lo stesso, e ci salutiamo qua ». «Cher Calvino, le livre est comme il est : si vous voulez le publier, vous le publiez ; sinon, ça ne fait rien. Merci quand même, et au revoir ».
À ce stade, Calvino a été convaincu, et le livre a été publié par Einaudi. Mais pourquoi ? Qu’avait-il trouvé dans Malacqua ? Peut-être quelque chose qui l’avait toujours attiré, comme il le dit dans un ancien entretien : « J’ai toujours été intéressé par les récits primitifs, les contes populaires, les mythes anciens, les contes des peuples d’autres civilisations : dans chacune de ces histoires, il y a quelque chose de très mystérieux, par lequel on semble saisir l’essence même de raconter ».
Le livre a eu un certain succès, fut réimprimé, puis il a disparu progressivement des librairies. Pendant de nombreuses années ensuite, il n’a circulé qu’en photocopies parmi les admirateurs, et les très rares exemplaires disponibles, véritables objets de culte, sont très recherchés par les bibliophiles. En 2013, un an après la mort de l’auteur, il a été réédité par Tullio Pironti Editori et en 2015, il est arrivé au Napoli Teatro Festival, dans une adaptation mise en scène par le frère de Nicola, Armando Pugliese, et sur une musique de Nicola Piovani.
Si l’on s’en tient aux faits, Malacqua est la chronique de quatre jours de pluie dans la ville de Naples, du 23 au 26 octobre d’une année indéterminée au cours desquels se produisent des événements étranges, dans une atmosphère d’attente, pas seulement de la fin du déluge mais surtout d’un événement extraordinaire. Cette longue et dense chronique d’un désastre commence par deux morts, à cause de la pluie, deux voitures englouties dans une crevasse.
Ce mauvais temps ne provoque pas seulement des éboulements et des effondrements. Dans l’incertitude hostile créée par la pluie se multiplient des faits inhabituels, prennent corps des présages et de noirs avertissements. La peur crée l’attente d’un événement extraordinaire et le roman se transforme alors en l’attente de cet événement absurde, irrationnel, capable de briser les perspectives mêmes de la vie.
Naples bien sûr est le vrai protagoniste de Malacqua. Ville de la pluie (il pleut beaucoup dans les livres des Napolitains a fait remarquer un critique), ville du rêve et de la spéculation immobilière, coeur de l’exploitation intensive sur le dos de ceux qui ne sont pas puissants. À travers les rues anciennes de la ville, les quatre jours de pluie alimentent un suspens appliqué aux raisons mêmes de l’existence. Et l’événement extraordinaire tant attendu trouve son origine fondamentale dans un sentiment ancestral des Napolitains : l’attente ambigüe qu’un « miracle » puisse intervenir pour améliorer leurs conditions de vie précaires.
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〈 À propos 〉

 Malacqua est un livre « qui a un sens, une force, une capacité expressive ». Italo Calvino
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« Malacqua est un livre magnifique, publié en 1977 par Einaudi. Introuvable car jamais republié depuis. Nicola Pugliese, écrivain extraordinaire, ne voulut pas le laisser revenir en librairie, par timidité, pudeur, mélancolie peut-être. (…) Je me souviens de son oeuvre merveilleuse et de sa timidité. » Roberto Saviano
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« Malacqua. Un événement. Il pleut. Quatre jours de pluie interminable traversent Naples. Des cris surgissent d’une poupée dans le château de Maschio Angioino. Via Aniello Falcone, un effondrement. Puis via Tasso. Des morts. On a connu pire à Naples. Mais quand est-ce que la pluie va s’arrêter ? Que se passera-t-il après ? Après ces quatre jours ? Après toute cette eau ? Ce bouleversement ? Il y a une énigme à élucider.
Les personnages s’entrecroisent. On entend leurs vies se confondre. On ressent leurs attentes pressentant une nouveauté immanente. Quelque chose va changer, c’est certain. Il le faut. Cette pluie décrit la métaphore d’un tout. D’une existence fatigante. D’une envie d’ailleurs mais dans Naples. Ici, quelque chose enfin se transforme, se métamorphose. Car partir ne servirait à rien. Tout doit changer, ici même.
Malacqua est un livre politique, sociétal et mystérieux. Nicola Pugliese détient les clés d’une écriture enivrante. Un parchemin lucide de la vie napolitaine. De la vie humaine. Son écriture emploie des répétitions, comme un écho aux mots, comme une force donnée, un rassemblement musical. Un poème. Tout y parfaitement dosé. Les personnages qui viennent se percuter à la pluie, du journaliste à la secrétaire, au poète, au barman, aux amants… portent tous une unité qui nous laisse entrevoir leur quotidien. Leurs rêves. Leurs désillusions. Leurs parcours. Leurs rancœurs. Leurs frustrations. Cette pluie, c’est eux.
Et j’ai fusionné avec chaque personnage. Je me suis abreuvée à leur eau, à leurs gouttes d’histoire. J’ai fantasmé. J’ai frissonné en lisant le mot poupée (ma phobie). J’ai attendu comme eux qu’un changement se produise. J’étais avec eux.
C’est la force de Nicola Pugliese — inégalable. Malacqua est un livre qui ne peut être décrit mais se doit d’être lu. Il s’est infusé en moi. Il m’a portée aussi et élancée vers moi-même. Il m’a changée. Je suis devenue ma propre pluie.
Mais une question reste : pourquoi Nicola Pugliese ne voulait-il pas que son livre soit réédité ? Que s’est-il passé après sa propre pluie ? »
Vanessa Jaunet
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« Quel est le secret de ce roman singulier? Quelle est l’illusion d’une écriture comparée par les critiques à Cent ans de solitude de Márquez et qui s’inscrit dans la grande tradition européenne du XXe siècle qui mène de Joyce à Kafka, en passant par la langue de D’Arrigo et la douloureuse autobiographie de Carlo Emilio Gadda ? » 
Armida Parisi
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Remarqué en 2021 par la librairie Le Monte-en-l’air Paris
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« Nicola Pugliese est l’écrivain d’un seul livre, Malacqua. Mais quel livre ! Il paraîtra en novembre prochain aux éditions bordelaises do. Son histoire est aussi simple que Pugliese fut radical dans l’engagement de l’écriture. Ce livre est un loup. Un caillou. Son auteur aussi. »
Serge Airoldi Éclairs lire l’article → Dans le trou comme au ciel, sur la terre comme aux pluies 
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« Quand un immeuble s’effondre, à Marseille ou à Naples, un monde s’écroule. Retour sur un chef-d’œuvre de l’effondrement, Malacqua, roman italien de 1977, traduit enfin en français. »
Lise Wajeman Mediapart lire l’article  Malacqua, chef-d’oeuvre de l’effondrement
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« La capacité de raconter Naples et ses habitants, dans un portrait choral fait d’événements de rien du tout mélangés aux prémices d’une apocalypse à venir. »
Riccardo Borghesi  L’Italie à Paris
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Ah mais quel livre incroyable, magnifique ! merci mille fois de me l’avoir envoyé et fait découvrir ! par… Claro, dans le feuilleton du Monde des livres du 30 novembre 2018, →Il pleut sur Naples

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« Comme une montée inexorable des eaux, Malacqua nous imprègne d’une sensation étrange soulevée par l’imminence de l’inéluctable. Les phrases coulent et se diffusent inlassablement nous entraînant dans un tourbillon de pensées. Nicola Pugliese finit de remplir la coupe et nous la déverse sur le sommet du crâne avec une agilité saisissante. On en sort hypnotisé et sacrément marqué ! »
librairie Myriagone, Angers
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Sur Radio Campus Lille, dans l’émission Paludes de Nikola Delescluse, lecture d’un extrait suivie d’une analyse remarquable de Malacqua. À écouter

 

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Sous le déluge étrange, noyez-vous dans Malacqua
« Il est impossible de présenter Malacqua sans la pluie. Oui, parlons-en de cette pluie, parlons-en : une mélopée qui se répète, se répète, encore et encore. Elle semble être partout et nulle part à la fois. Une synesthésie omniprésente, créée à partir du style poétique et répétitif de Pugliese, à la manière d’un refrain. Les averses, on peut les voir, les sentir, presque les entendre en tournant les pages. Là où Zola donne vie à la Lison dans sa Bête humaine, l’auteur italien, lui, donne une âme au déluge napolitain :
« Il n’y avait plus de raison de sourire, avec cette pluie d’aujourd’hui, définitivement plus aucune […]. Sur la ville, si l’on levait les yeux, ce voile de pluie tombait, tombait, et la pluie formait au loin une fine trame, les pensées elles-mêmes étaient des pensées humides et rayées, profondément marquées par cette fine pluie verticale qui tombait tombait à travers des filaments d’eau se perdant dans l’eau déjà tombée et dans celle qui allait tomber. Il y avait en effet désormais une certitude profonde, cruelle, implacable : cette pluie allait continuer, oui, elle allait continuer jusqu’à ce que l’événement se soit manifesté avec évidence, jusqu’à ce que la signification dernière soit devenue claire et indiscutable même dans les esprits les plus désarmés, les plus faibles. »
C’est dans ce climat particulier que l’écrivain-journaliste nous offre un riche panorama de personnages, souvent mélancoliques, aux noms chantants, si propres à la langue italienne : Andreoli Carlo, Picozzi Salvatore, De Rosa Ferdinando… Il les met en scène dans leur quotidien, avec en arrière-plan cette cataracte, pour mieux faire ressortir leur mélancolie. Misère sexuelle, désir d’émancipation, mortalité… Chacun des protagonistes attend, patiemment, que les averses se calment, et qu’un événement extraordinaire vienne les extirper de cette vie circulaire, de cette ville en carton qui s’effondre progressivement sous le poids des gouttes.
Sous la grisaille constante de la région de Campanie, d’étranges événements surviennent sans prévenir : effondrements de terrains, murmures mystérieux dans les décombres, la mer qui poursuit les gamins du quartier… Il ne manquerait plus que les pièces puissent chanter, n’est-ce pas ?
Si, chers lecteurs, vous n’êtes toujours pas convaincus par Malacqua, permettez que je reprenne une formule de l’auteur, remaniée bien sûr, qu’il avait adressée à son éditeur pour lui présenter son livre :  « Cher lecteur, le roman est comme il est. Si vous voulez le lire, vous le lirez. Si non, merci et au revoir. » »
Maxime Simionenko Actualités
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Chorale pour prodiges équivoques
Journaliste à Naples, Nicola Pugliese (1944-2012) fait parvenir son manuscrit au romancier Italo Calvino, alors un des principaux collaborateurs des éditions Einaudi. Enthousiaste, Calvino est prêt à le publier, mais au prix de quelques modifications. Pugliese obtempère d’abord, puis refuse net à la dernière observation : « Ou vous le publiez tel quel, ou vous me le renvoyez. » Il obtient gain de cause, et son roman, qui paraît en 1977, connaît un très grand succès. Mais il s’oppose à sa réimpression ; le livre ne fut donc à nouveau édité qu’après sa mort. L’accostage, enfin, de l’esquif Malacqua, après tant d’obstacles, par la grâce de son éditeur français, le talent de sa traductrice sachant lui faire honneur, en est rendu encore plus précieux.
Dans le grand livre universel de la fiction, au chapitre fourni des fictions autour des catastrophes climatiques, Malacqua pourrait, dans la logique qui veut que les causes précèdent les conséquences, se placer avant Le monde englouti (1962), du Britannique James Graham Ballard… Une pluie sans fin tombe sur Naples, quatre jours d’affilée, déclenchant une série d’accidents mortels et d’événements bizarres, voire surnaturels, qui plongent les habitants dans une incompréhension stupéfaite. Cette pluie interminable teinte de gris-noir le ciel devenu invisible, une eau partout présente qui rend tout émollient ; cette sensation imprègne tous les personnages, et singulièrement le principal, Andreoli Carlo, un journaliste. Déjà, en août, la mer avait envahi inexplicablement les quartiers les plus bas. Les carabiniers surveillent, mais sont incapables de juguler son avance avec les traditionnels moyens répressifs… Incompréhensibles encore, « l’obscure présence sonore d’une grande voix omnipotente » soudain dans toute la ville, et un inquiétant gémissement de poupée, comme un oracle ininterprétable… Bien sûr, il y aura une explication rationnelle des officiels, qui iront jusqu’à évoquer, pour calmer les esprits, la possibilité d’une « convocation judiciaire pour la pluie qui tombe ». Cette eau qui menace les fondements de Naples provoque la chute d’immeubles et l’effondrement de chaussées en faisant des morts — écho d’un événement réel survenu à la fin des années 1960.
Face à la vaine réponse politique, alors qu’il y a « dans l’air et dans les grilles des égouts ce curieux mélange, ce mélange de mort et de futur, de conscience douloureuse et d’espoir », sourd le chant choral des soliloques d’une dizaine d’habitants : un père anéanti par la mort de sa fille, un policier éperdu d’amour pour son épouse dépressive, les rêveries sensuelles de jeunes femmes, et surtout les interrogations incessantes du journaliste sur l’avenir de sa ville… Le récit aura beau convoquer le miracle de l’ampoule de sang de San Gennaro, le splendide passé de Naples, c’est le contrepoint de ces voix et de leurs consciences qui semblera la seule réponse à l’attente sans fin d’une catastrophe qui peut-être surviendra, ou pas.
Bernard Daguerre Le Monde diplomatique mai 2019
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Une ville qui se décompose sous une pluie incessante, l’histoire étrange de quatre jours de pluie sur Naples dont les bâtiments et les gens souffrent, entendent des voix, attendent… une écriture originale qui se lit comme une musique. Très beau et unique roman de Nicola Pugliese traduit par Lise Chapuis, considéré comme un chef d’œuvre par Italo Calvino, aux éditions Do.
Librairie Zenobi Malakoff
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〈 Couvertures des éditions originales 〉


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A lire encore, en italien, signalé par Lise Chapuis, traductrice française du livre, ce très long article, en deux parties, publié début novembre 2018 sur ilmattino.it :
Non c’è giustizia per chi precipita nelle viscere della città
I fantasmi di Malacqua tra i rimorsi e le colpe di una città che frana
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La première traduction de Malacqua est parue en langue anglaise, aux éditions And Other Stories ; la deuxième est cette traduction française ; depuis les droits de traduction ont été vendus aux Etats-Unis, en Roumanie, en Grèce, en Espagne, en Finlande et en Allemagne. Les droits ont également été achetés pour le cinéma.

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La troisième vie de Malacqua, bientôt traduit dans sept pays,
un article dans le quotidien napolitain Il Mattino
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le magazine PassaParola
édité au Luxembourg et diffusé en France et au Luxembourg, avril 2019